Babou

 Maître Jean-Philippe Carpentier.

Par Maître Jean-Philippe Carpentier – Avocat au barreau de Paris, consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie et Président du Corps consulaire de Normandie.

En 1483, « prudent homme » Laurent Babou était notaire à Bourges. Son père, Jean Babou avait également été notaire dans la même ville et il se dit qu’il avait, également, été barbier.


J’ai la faiblesse de m’être un peu intéressé à ma généalogie et il se trouve que je descends plusieurs fois de ces deux membres de la famille Babou.

Ils étaient artisan puis notaires, travaillant pour s’élever dans la société de l’époque.

Cette société n’était pas sclérosée et l’ascenseur social fonctionnait parfaitement.

Louis XV sut le rappeler à quelques-uns, au maréchal de Richelieu dont Vignerot, le bisaïeul, était un joueur de flûte qui avait plu à la nièce d’un fameux cardinal ; aux Villeroy qui descendaient d’un marchand de poisson sous François 1er, et à d’autres, qui à l’époque composaient, d’une certaine manière, la technostructure de la France.

Louis XV qui avait le sens de la formule et une forme de verve, déclara un soir à ces derniers qui campaient sur le piédestal de leurs positions sociales : « Au demeurant, consolez-vous, messieurs ; moi qui suis, je pense, un assez bon gentilhomme, j’ai mon grand-père qui était notaire à Bourges. »

L’anecdote est assurément amusante et vous retrouverez à la fin de cet article l’intégralité de la citation.

Ce notaire, c’était Babou.

Il faut, de cette histoire, tirer deux enseignements particulièrement importants dans notre monde contemporain.

Le premier enseignement revient à parler de l’ascenseur social, dont il est souvent expliqué qu’il serait en panne et que le destin cantonnerait chacun à une forme de reproduction sociale, s’accompagnant d’un maintien dans sa classe d’origine.

Parmi les facteurs clés de l’ascenseur social, figure, au premier rang, l’accès à la culture et l’accès à l’éducation.


En France, nous sommes choyés puisque cet accès est le plus souvent possible, peu onéreux voire fréquemment gratuit.

Alors quelle est cette question de panne ?

Tout d’abord, l’accès à la culture et à l’éducation, aussi simples soient-il, ne font pas tout.

Entre la faculté d’y accéder et la volonté de s’en imprégner, il existe un gouffre qui, bien souvent, n’est pas franchi, car le savoir et l’éducation ne se transmettent pas uniquement à l’école mais, également, en dehors de l’école, au sein de la cellule familiale et lors de toutes les activités extrascolaires et sociales.

Sur ces sujets, Valérie Toranian et Roger Establet proposent deux approches contemporaines intéressantes, la première axée sur l’intégration et la seconde plus sociologique.

La première approche tire les fruits de l’origine arménienne de Valérie Toranian qui précisait en 2018, évoquant sa culture arménienne « La culture se transmettait sans jamais remettre en question l’appartenance à la nation Française. Mais c’était une autre époque, l’ascenseur social était performant ».

La seconde approche de Roger Establet, de 2009, « La massification a engendré une certaine démocratisation de l’enseignement, c’est sûr. Mais l’idée d’ascenseur social ne se résume pas au fait de passer d’une classe sociale à une autre », montre l’obsolescence de l’idée de classe sociale qui fracture vainement la société alors que l’ascenseur social est sans rapport nécessaire avec le changement de classe sociale.

Ces deux points de vue sont à méditer pour éviter que notre société se sclérose.

Le second enseignement de l’histoire de Babou, tient au lien qu’entretient la technostructure avec ceux qu’elle est chargée d’administrer.

Il ne s’agit pas ici de critiquer l’Administration car une telle critique est aussi vaine qu’inutile, dans un contexte où l’Administration est nécessaire à la vie quotidienne et où elle fait le plus souvent un travail de qualité.

La question qui se pose est celle du renforcement du lien avec les populations administrées pour faire en sorte que les besoins et aspirations de ces dernières, soient entendus et pris en compte.

La crise agricole l’a montré, il faut lever les blocages imposés par la rigidité de la technostructure en la rapprochant des nécessités du monde socio-économique, c’est-à-dire en remettant l’humain au centre de toute démarche et au cœur des préoccupations de l’Administration dont la vocation est d’être à son service.

Pour aller plus loin

Voici la citation complète de Louis XV :

« Sous le règne de Louis XI, vers 1470, il y avait à Bourges un honnête notaire qui s’appelait Babou. On trouva même quelque part que le père de ce Babou était barbier ; mais cela n’est pas si constant que l’état de notaire exercé par le fils, dont il existe dans les archives du Berry nombre d’actes signés de sa main.

Babou fit fortune, et acheta pour son fils, Philibert Babou, une charge de trésorier de France. Philibert devint maître d’hôtel du roi Charles VIII. Il fut père de Babou, sieur de la Bourdaisière, maître général de l’artillerie en 1539.

La fille de ce la Bourdaisière fut mère de Gabrielle d’Estrée, laquelle eut pour fils naturel César de Vendôme, marié en 1609 à l’héritière de Mercoeur, et père d’Elisabeth de Vendôme, mariée à Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, qui fut tué en duel par le duc de Beaufort, son beau-frère.

Charles-Amédée fut père de Marie de Nemours ; laquelle fut mariée à Charles-Emmanuel, duc de Savoie, dont elle eut Victor-Amédée, duc de Savoie, roi de Sardaigne, et père de Marie-Adélaïde de Savoie, mariée à Louis de France, duc de Bourgogne, dont j’ai, moi qui vous parle, l’honneur d’être fils.

Ainsi vous voyez, messieurs, que mon dixième aïeul était, comme je vous le disais, un très digne notaire de Bourges, dont le père aurait même été barbier. Je ne le renie point, je n’en ressens aucune honte, et vous invite tous, tant que vous êtes, à n’être pas plus difficiles que moi en arbres généalogiques. »